La décomposition des mégots de cigarette

Les mégots, composés principalement de filtres en acétate de cellulose (une matière plastique) et imprégnés de substances chimiques très nocives, se dégradent à des vitesses différentes selon le lieu où ils sont déposés. Et c’est dans le milieu marin, triste destination finale de la grande partie des mégots qui sont jetés au sol, que la pollution est la plus importante.

Table des matières

Une analyse sur 5 ans de dégradation

La pollution par les mégots de cigarette représente un problème environnemental majeur en raison de leur présence omniprésente et de leur persistance dans divers écosystèmes. Composés principalement de filtres en acétate de cellulose et imprégnés de substances chimiques nocives, les mégots de cigarette peuvent mettre des années à se décomposer et continuent à libérer des toxines durant ce processus. Une étude publiée dans Science Direct [1] s’est concentrée sur le devenir de ces déchets dans différents environnements, explorant les différentes phases de dégradation, les changements chimiques intervenant au cours de la décomposition, et leur écotoxicité.

Cette recherche publiée en 2020 a examiné la dégradation des mégots de cigarette sur une période de cinq ans dans différents environnements, tels que les zones urbaines, aquatiques et forestières. L’objectif était de déterminer les taux de décomposition, les changements chimiques survenant pendant la dégradation, et l’écotoxicité des résidus.

Pour les besoins de l’étude, des mégots de cigarettes ont été collectés et exposés dans divers environnements naturels, et chaque site d’exposition a été choisi pour représenter différentes conditions écologiques et niveaux d’intervention humaine. Les mégots ont été placés dans des dispositifs de confinement spéciaux pour empêcher la dispersion par le vent ou les animaux.

Le suivi de la décomposition des mégots a été réalisé à intervalles réguliers (annuellement). Les paramètres mesurés comprenaient le poids résiduel, les changements de couleur, et la texture. Des prélèvements ont été effectués pour analyser les transformations chimiques par spectrométrie de masse et chromatographie.

Des tests d’écotoxicité ont ensuite été menés afin d’évaluer l’impact des substances libérées par les mégots sur les organismes vivants. Ces tests comprenaient l’exposition de divers organismes modèles, tels que des bactéries, des algues et des invertébrés aquatiques, aux extraits aqueux des mégots décomposés. Les données recueillies ont été analysées pour identifier les tendances de dégradation et les corrélations entre l’environnement d’exposition et le taux de décomposition. Des analyses statistiques ont enfin été utilisées pour valider les résultats et quantifier l’écotoxicité produite par la pollution de ces mégots.

Schéma illustrant les différentes phases de dégradation d’un mégot de cigarette selon l’environnement concerné et sa toxicité sur certaines algues et bactéries marines au fil du temps.

Différents types de dégration selon l’environnement pollué

L’étude a révélé que les taux de décomposition des mégots de cigarette varient considérablement en fonction de l’environnement d’exposition. Les mégots placés dans des environnements aquatiques ont montré le taux de décomposition le plus lent, avec une réduction de masse notablement plus faible comparée à ceux exposés dans des zones forestières et urbaines. Cette différence suggère que les caractéristiques de l’eau, comme la température et l’oxygénation, peuvent inhiber la dégradation des composants des mégots.

Environnement aquatique

Dans les milieux aquatiques, des facteurs tels que la température de l’eau, le niveau d’oxygénation, et le pH jouent un rôle crucial dans la vitesse de décomposition des matériaux. Les eaux plus froides et moins oxygénées, typiques des milieux aquatiques profonds ou stagnants, ralentissent les réactions chimiques et l’activité microbienne, ce qui conduit à une dégradation plus lente.

Les mégots exposés dans ces conditions ont montré une réduction de masse plus faible, ce qui indique une persistance prolongée des filtres et des substances chimiques associées. Les recherches montrent que l’acétate de cellulose ne se décompose pas facilement dans les environnements froids et anoxiques, conservant sa structure et ses composants chimiques toxiques pendant des années.

Zones forestières

Les zones forestières présentent souvent un environnement plus favorable à la décomposition rapide due à une meilleure aération du sol, une activité microbienne élevée, et des températures modérées. Ces facteurs accélèrent la dégradation biologique et abiotique des composants des mégots.

Dans les forêts, les mégots de cigarette subissent une dégradation notablement plus rapide, avec une diminution visible de la masse et une décoloration des filtres. L’humidité et les microorganismes du sol contribuent à la décomposition de l’acétate de cellulose et à la lixiviation des contaminants chimiques.

Zones urbaines

Les environnements urbains varient considérablement, mais les mégots y sont souvent exposés à des températures plus élevées du fait de l’effet d’îlot de chaleur urbain, et à une pollution plus importante qui peut interagir chimiquement avec les substances des mégots.

Bien que les taux de décomposition dans les zones urbaines soient généralement plus rapides que dans l’eau, ils peuvent être irréguliers en raison de la variabilité des conditions environnementales et de la présence de polluants urbains qui peuvent altérer les processus naturels de dégradation.

Modification chimique

Les analyses chimiques ont indiqué que les mégots de cigarette subissent des modifications significatives dans leur composition chimique au fil du temps. Les substances telles que la nicotine et le goudron ont diminué en concentration, mais d’autres composés toxiques se sont formés pendant la décomposition. Ces nouveaux composés comprenaient des dérivés de la nicotine et d’autres substances potentiellement nocives pour l’environnement.

Il faut bien comprendre que les mégots de cigarette sont principalement composés de filtres en acétate de cellulose et contiennent des résidus de tabac qui incluent une multitude de produits chimiques, dont la nicotine, des goudrons, et divers additifs issus de la combustion du tabac. Au cours de la décomposition, l’acétate de cellulose se dégrade lentement, et les produits chimiques qu’il contient subissent diverses transformations.

La nicotine et les goudrons sont parmi les principaux contaminants initiaux des mégots de cigarette. Ces substances sont relativement volatiles et hydrosolubles, ce qui permet leur lixiviation progressive dans l’environnement ou leur dégradation sous l’effet des conditions climatiques et microbiologiques. La réduction de leur concentration peut être mesurée par chromatographie en phase liquide à haute performance (HPLC), qui a montré une diminution significative de ces composés dans les échantillons analysés au fil du temps.

En parallèle à la diminution de la nicotine et des goudrons, de nouveaux composés chimiques ont été identifiés par spectrométrie de masse. Ces nouveaux composés incluent des dérivés de la nicotine tels que la cotinine et la nornicotine, qui sont des métabolites connus de la nicotine. Ces substances se forment par des réactions de dégradation oxydative et peuvent persister dans l’environnement, présentant des risques écotoxicologiques propres. D’autres composés potentiellement nocifs détectés incluent des aldéhydes, des cétones, et des acides carboxyliques, qui sont des produits de dégradation communs des composés organiques sous l’influence des UV, de l’oxygène, et de l’activité microbienne. Ces substances sont particulièrement préoccupantes car elles peuvent participer à des réactions chimiques secondaires, formant des produits encore plus toxiques ou réactifs.

L’accumulation de ces nouveaux composés chimiques dans les environnements aquatiques et terrestres peut avoir des effets nocifs sur la faune et la flore. Les tests écotoxicologiques montrent que ces substances peuvent affecter la croissance et la reproduction des organismes aquatiques, et leur présence dans les sols peut altérer les processus microbiologiques et la santé des plantes.

Écotoxicité

Les tests d’écotoxicité ont montré que les extraits aqueux des mégots de cigarette conservaient une toxicité élevée tout au long de l’expérience de cinq ans. Les organismes aquatiques, tels que les algues et les invertébrés, ont été particulièrement affectés, avec des effets nocifs observés même à de faibles concentrations de substances libérées par les mégots. Les impacts incluaient des altérations du développement, de la reproduction, et de la survie des organismes testés.

L’impact de la pollution a été mesurée en utilisant des extraits aqueux préparés à partir de mégots de cigarette collectés à divers intervalles au cours de l’expérience de cinq ans. Ces extraits ont été dilués à plusieurs concentrations pour tester leur toxicité sur différents organismes aquatiques. Les méthodes standardisées telles que les essais de toxicité aiguë et chronique ont été utilisées pour évaluer les effets sur la santé et la viabilité des organismes exposés.

Le niveau d’écotoxicité causés par les mégots ont été réalisés en observant des algues et des invertébrés aquatiques. Les algues sont fréquemment utilisées dans les études écotoxicologiques en raison de leur rôle fondamental dans les chaînes alimentaires aquatiques et leur sensibilité aux polluants chimiques. Les petits crustacés sont quant à eux des indicateurs standards de la santé écologique des milieux aquatiques en raison de leur réponse rapide aux toxines environnementales.

La pollution causée par les mégots ont significativement inhibé la croissance des algues, même à de faibles concentrations. Cette inhibition peut réduire la production primaire dans les habitats aquatiques, affectant l’ensemble de l’écosystème. Les tests ont montré une réduction de l’efficacité photosynthétique, probablement due à la présence de composés toxiques qui perturbent les processus cellulaires.

Sur les crustacés, une augmentation de la mortalité a été observée, ainsi qu’une réduction de la mobilité chez les individus exposés, ce qui peut avoir des implications pour leur survie et leur capacité à se reproduire. L’exposition à des résidus de mégot a conduit à une diminution significative du taux de reproduction, impactant potentiellement la dynamique de population de ces organismes dans les milieux naturels.

Les résultats des tests d’écotoxicité ont montré que les substances libérées par les mégots de cigarette maintiennent une toxicité élevée et ont des effets délétères sur les organismes aquatiques. Ces impacts ne sont pas isolés; ils suggèrent des effets cascades qui peuvent compromettre la stabilité et la fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, notamment en affectant la chaîne alimentaire et en réduisant la biodiversité.

Corrélation entre l’environnement et la toxicité

Comme expliqué plus haut, les mégots laissés dans des environnements urbains tendent à conserver une toxicité plus élevée par rapport à ceux dans des zones forestières, probablement en raison de la présence accrue de polluants urbains qui interagissent avec les substances présentes dans les mégots eux-mêmes, mais c’est surtout en milieu aquatique que les dégats sur l’environnement sont les plus importants.

Combien de temps met un mégot pour se décomposer entièrement ?

Le temps de décomposition d’un mégot dépend de nombreux facteurs environnementaux.
Dans les premiers 30 jours, les mégots perdent environ 15,2 % de leur masse initiale. Par la suite, la décomposition ralentit considérablement, suivant des trajectoires différentes en fonction de la disponibilité en azote et de la composition du microbiome [2].

La durée complète pour la décomposition d’un mégot peut varier considérablement selon l’environnement. En moyenne, il peut prendre de 7,5 à 14 ans pour que les filtres en plastique traditionnels se décomposent complètement, que ce soit dans un compost ou à la surface du sol [3].

Une étude montre également que l’espèce de ver de terre Eisenia fetida peut accélérer significativement la décomposition des mégots de cigarette, améliorant le taux de décomposition de 30 à 36 % au cours d’une expérience de 70 jours [4].

Quid des filtres biodégradables ?

L’étude réalisée par François‐Xavier Joly et M. Coulis en 2018 explore la décomposition des filtres de cigarettes en cellulose par rapport à ceux en acétate de cellulose (plastique), dans différents environnements. Des filtres de cigarettes en cellulose et en acétate de cellulose (sa version plastique que l’on retrouve dans la plupart des cigarettes), utilisés et non utilisés, ont été exposés dans un compost et à la surface du sol. L’étude a duré six mois pour mesurer les taux de décomposition dans ces deux conditions. Les auteurs de l’étude eont utilisé un modèle cinétique d’ordre 1 pour évaluer la perte de masse des filtres au cours de l’expérience.

Dans le compost, les filtres en cellulose se sont décomposés plus rapidement que ceux en plastique mais cet avantage a été fortement réduit lorsque les filtres avaient été utilisés pour fumer, indiquant que l’accumulation de goudrons et d’autres produits chimiques pendant l’utilisation du filtre peut affecter fortement sa décomposition. Sur la surface du sol, aucune différence significative de perte de masse n’a été observée entre les filtres en cellulose et en plastique au cours de l’incubation. Ils ont ainsi estimé que les filtres en plastique traditionnels mettent entre 7,5 et 14 ans à disparaître, que ce soit dans le compost ou à la surface du sol. En revanche, les filtres en cellulose mettraient entre 2,3 et 13 ans à disparaître dans les mêmes conditions.

Il existe au final deux gros soucis pour les filtres biodégradables. Le premier est que les substances écotoxiques qu’ils contiennent une fois la cigarette fumée, se répandront dans l’envrionnement si le filtre est jeté par terre, et ce, qu’il soit biodégradable ou non. Le second gros problème qu’ils peuvent poser concerne la psychologie du fumeur. Quelle attitude va adopter un fumeur qui pense que son filtre est désormais biodégradable ? Il y a fort à parier qu’il va se sentir moins redevable vis à vis de la nature, considérant à tort, que le filtre va se dégrader naturellement, sans causer de tort aux écosystèmes qui l’entourent. L’idée des filtres biodégradables, si elle peut séduire à première vue, n’est peut être pas une si bonne idée que cela.

Un temps de décomposition qui augmente en milieu aquatique

Les résultats montrent que les mégots de cigarette se décomposent à des vitesses variables selon l’environnement, avec des taux particulièrement lents dans les milieux aquatiques. Cette observation est cohérente avec d’autres études qui indiquent que les conditions anaérobies, souvent présentes dans les milieux aquatiques, ralentissent la dégradation des matériaux organiques. La persistance prolongée des mégots dans ces environnements accentue le risque d’accumulation et d’effets toxiques sur la faune aquatique.

Les modifications de la composition chimique des mégots au cours de leur dégradation soulèvent des inquiétudes concernant la formation de nouveaux polluants environnementaux. Les produits de dégradation des matériaux synthétiques peuvent parfois être plus nocifs que les substances d’origine. Cette étude ajoute aux preuves que les mégots de cigarette pourraient libérer des composés encore plus toxiques dans l’environnement au fil du temps, exigeant une attention particulière dans les stratégies de nettoyage et de prévention de la pollution.

Les tests d’écotoxicité indiquent que les substances libérées par les mégots de cigarette restent hautement toxiques, particulièrement pour les organismes aquatiques. Ces résultats sont alarmants et confirment les constatations d’études similaires qui ont mesuré les effets négatifs des mégots sur la biodiversité aquatique (Lee et al., 2019). Il est crucial de considérer ces impacts lors de l’élaboration de politiques publiques et de pratiques de gestion des déchets.

L’étude met en lumière la nécessité de politiques plus strictes concernant l’élimination et le recyclage des mégots de cigarette. L’introduction de matériaux biodégradables pour la fabrication des filtres de cigarettes pourrait réduire leur impact environnemental mais ils resteront dans tous les cas souillés par la fumée de cigarette qui a été filtrée pendant la combustion, et c’est bien la nature de ces polluants qui est préoccupante. La production de filtres biodégradables pour les cigarettes ne résout pas intégralement le problème des polluants contenus dans la matière filtrante. Bien que la biodégradation des filtres puisse réduire la persistance des déchets dans l’environnement, les substances toxiques libérées durant le processus de décomposition restent une préoccupation majeure.

Les autres recherches à lire sur la pollution causée par les mégots de cigarettes

The ecological impacts of discarded cigarette butts par D. Green, A. Tongue, et B. Boots (2021) : cette étude passe en revue les préoccupations écotoxicologiques concernant les mégots de cigarettes et identifie les lacunes importantes dans la recherche actuelle, en particulier les effets sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Les effets létaux sur les organismes aquatiques sont couramment rapportés. https://doi.org/10.1016/j.tree.2021.10.001

Environmental fate of cigarette butts and their toxicity in aquatic organisms: A comprehensive systematic review par S. Dobaradaran, F. Soleimani, et al. (2021) : cette revue systématique explore l’impact des mégots de cigarettes sur la survie, la croissance et la reproduction des organismes aquatiques, montrant que les lixiviats des mégots peuvent être extrêmement toxiques pour divers organismes. https://doi.org/10.1016/j.envres.2021.110881

Toxicity of cigarette butts, and their chemical components, to marine and freshwater fish par Elli Slaughter, R. Gersberg, et al. (2011) : cette recherche a évalué la toxicité des lixiviats de mégots de cigarettes pour deux espèces de poissons, montrant une toxicité accrue des mégots fumés par rapport aux filtres non fumés. https://doi.org/10.1136/tc.2010.040170


[1] The fate of cigarette butts in different environments: Decay rate, chemical changes and ecotoxicity revealed by a 5-years decomposition experiment, Environmental Pollution,
Volume 261, 2020, 114108, ISSN 0269-7491, https://doi.org/10.1016/j.envpol.2020.114108.

[2] The fate of cigarette butts in different environments: Decay rate, chemical changes and ecotoxicity revealed by a 5-years decomposition experiment, Environmental Pollution, Volume 261, 2020, 114108 https://doi.org/10.1016/j.envpol.2020.114108

[3] Comparison of cellulose vs. plastic cigarette filter decomposition under distinct disposal environments, https://doi.org/10.1016/j.wasman.2017.11.023

[4] The earthworm species Eisenia fetida accelerates the decomposition rate of cigarette butts on the soil surface, https://doi.org/10.1016/j.soilbio.2020.108022

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